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La médiation administrative : une chance pour la médiation, un défi pour l’Administration ?

Le jeudi 22 mars 2018, s’est tenu le deuxième « Atelier de la Médiation », espace d’information et d’échange pour tous les acteurs de la médiation, organisé par le Club des Médiateurs.

Travaux du 2ème Atelier de la Médiation Jeudi 22 mars 2018

« La médiation administrative : une chance pour la médiation, un défi pour l’Administration ? »

· M. Jean-Pierre HOSS, Médiateur de la Région Ile de France, ouvre les travaux enproposant une définition de la Médiation administrative – « celle qui traite les litiges nésd’une décision ou d’un contrat ressortissant au champ de compétence de la juridiction administrative » – et en soulignant l’enjeu pour l’administration, règne du « prêt à porter », appliquant de manière uniforme à tous des règles de droit, d’intégrer la médiation, culture du « sur mesure », s’efforçant de trouver à chaque cas une solution spécifique, souvent en équité.

· M. David MOREAU, Secrétaire général adjoint du Conseil d’Etat, chargé des juridictions administratives, présente un premier bilan de la médiation administrative à la suite de la réforme de 2016. En effet, si l’ordonnance de novembre 2011 a donné un cadre très complet à la médiation juridictionnelle, c’est la loi du 18 novembre 2016 et le décret du 18 avril 2017 qui ont ouvert une nouvelle ère pour la médiation administrative, médiation à l’initiative des parties ou du juge.

A cette occasion, toute distinction entre médiation et conciliation, perçue comme un clivage théorique dépassé, a été éradiquée. D’ailleurs, dans la charte éthique des médiateurs administratifs annexée à la convention du 13 décembre 2017 passée par le Conseil d’Etat avec le Conseil national des barreaux, il est prévu que le médiateur peut « faire toute proposition pour aider les parties à parvenir à un accord ».

Dans tous les cas, une interruption des délais de recours et une suspension de la prescription sont prévues. Celles-ci interviennent dès que les parties conviennent d’entrer en médiation. A cet égard, la nécessité d’un accord explicite de l’Administration pourrait constituer une entrave. Faudrait-il faire évoluer les textes sur ce point ? Lorsque l’administration relève d’un médiateur institutionnel, les délais devraient être suspendus à partir de la saisine de celui-ci par l’usager. En effet, le fait pour l’administration de désigner un médiateur devrait valoir accord de principe de sa part pour entrer en médiation lorsque celui-ci est saisi. Cette approche fait consensus parmi les médiateurs institutionnels présents, d’autant qu’en tout état de cause il est possible pour chaque partie de sortir de la médiation à tout moment, leur liberté est ainsi préservée.

Le Conseil d’Etat s’est doté depuis décembre dernier d’un outil statistique. Celui-ci recense notamment les accords auxquels sont parvenues les parties, quel que soit leur contenu au regard de la demande initiale des requérants. Ce n’est donc pas un taux de satisfaction, totale ou partielle, des demandes des requérants. A ce jour, 400 médiations administratives ont été engagées, 84 sont terminées, débouchant sur un accord dans 63 % des cas.

La Médiation préalable obligatoire est expérimentée dans trois champs :

  • la fonction publique d’Etat : à l’Education nationale dans 3 académies, ainsi qu’au ministère des Affaires étrangères (qui ne représente toutefois qu’une quarantaine de recours par an)
  • la fonction publique territoriale, dans 46 départements,
  • mais aussi les contentieux sociaux : à Pôle emploi, dans 3 régions, ou pour le RSA et les APL dans 6 départements, le médiateur étant dans ce dernier cas le Défenseur des droits.

Des questions relatives à la mise en oeuvre de la médiation administrative restent en suspens :

    – Les médiateurs institutionnels répondent-ils aux exigences fixées par le Code de Justice administrative, l’un des enjeux de cette interrogation est l’application ou nondes dispositions relatives à l’interruption des délais de recours contentieux ? Le critère de l’indépendance peut être satisfait s’ils bénéficient d’un statut législatif ou réglementaire leur offrant des garanties à cet égard. Mais leur « office » doit aussi être libre et non guidé par des textes, il ne doit pas être tenu de respecter une procédure qui limite ses moyens d’action.

    – Faudrait-il encadrer la médiation par des délais impératifs, à l’instar par exemple de la médiation de la consommation ? L’orientation est clairement négative, au regard de la diversité des litiges couverts. Pour autant, une juste limite pourrait s’imposer ou être définie au cas par cas et acceptée par les parties.

    – Comment marquer la fin d’une médiation ? Les textes n’imposent pas un acte du Médiateur, officialisant la fin de médiation ; l’administration doit pouvoir faire valoir devant le juge que l’administré a interrompu la médiation, et donc refait courir le délai de recours contentieux, en dehors de tout acte pris par le médiateur.

    – Faut-il instaurer des listes officielles de médiateurs, à l’instar de celles instaurées en matière civile ou familiale ? : la réponse est clairement non aujourd’hui, car la définition de critères objectifs pour les établir soulèverait des difficultés certaines comme en témoignent les difficultés actuelles rencontrées par les présidents de cours d’appel judiciaires pour établir les listes imposées par la loi J21.

· Les échanges font apparaitre d’autres problématiques : un médiateur institutionnel peut être amené à mettre en place et suivre deux processus distincts suivant que la médiation est ou non menée à l’initiative d’un juge, notamment si son propre cadre juridique spécifique ne prévoit pas de suspension des délais de recours ou de prescription.

· Mme Marielle COHEN-BRANCHE, Médiatrice de l’Autorité des Marchés Financiers, souligne quelques différences entre la Médiation administrative et les médiation civile ou de consommation.

  •  En matière civile, le juge peut retenir l’irrecevabilité de l’action en l’absence de tentative de médiation préalable, (s’agissant des réclamations non supérieures à 4000 euros), ce qui n’est pas le cas en matière administrative.
  •  La médiation de la consommation est gratuite pour le requérant, disposition également prévue par la loi de 1995 pour la conciliation.

Elle souligne que la question de la suspension de la prescription est essentielle, y compris au regard des dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatives à l’accès au juge.

Jean-Pierre HOSS précise que la médiation institutionnelle est gratuite, tout comme celle de la consommation.

· M. Christophe BAULINET, Médiateur des ministères économiques et financiers, tire un premier constat : le modèle de la médiation dans les domaines administratifs couverts par des médiateurs institutionnels s’est constamment développé, passant en une dizaine d’années de quelques milliers de saisines à quelques dizaines de milliers (plus de 100 000).

La médiation a été l’objet d’un foisonnement de textes, mais la loi Justice du 21ème siècle est le signal le plus marquant et le plus fort pour son développement dans le domaine administratif.

Ainsi, il existe désormais 3 types d’entrée en médiation administrative :

  • conventionnelle, à l’initiative des parties, 
  • juridictionnelle, à l’initiative d’un juge,
  • et institutionnelle, lorsqu’une telle médiation est prévue par un texte spécifique.

Suivant le canal utilisé (saisine directe, adressée par un autre médiateur, à l’initiative du juge), il peut exister pour un même médiateur institutionnel plusieurs flux de saisines soumis à des règles de traitement différentes, notamment au regard des délais de prescription, ce qui est source de réflexion pour l’avenir en termes de qualité de service.

Il convient de rendre hommage au Conseil d’Etat pour avoir préservé la souplesse de la médiation administrative, qui laisse volontairement plus de liberté qu’en matière civile et commerciale.

· Christophe BAULINET formule deux propositions adressées à la Haute assemblée :

  •  A l’instar du dispositif de conventions signé entre le Conseil d’Etat et le Conseil national des barreaux, il propose que des conventions analogues, à définir en commun, puissent être signées par les médiateurs institutionnels.
  •  Par ailleurs il est prêt à partager son expérience en intervenant dans les formations à la médiation organisées notamment par le Centre de Formation à la Justice Administrative (CFJA).

· Jean-Pierre HOSS souligne l’utilité de créer un statut de médiateur des collectivités territoriales.

· M. Jean-Louis WALTER, Médiateur de Pôle Emploi, évoque les 211 000 saisines reçues depuis sa création. Son dispositif compte 82 collaborateurs. Il souligne la capacité du Médiateur à faire remonter très rapidement tous les dysfonctionnements rencontrés par son institution afin de permettre aux acteurs à l’origine des dispositifs de prévenir les difficultés récurrentes.

Un problème de confidentialité émerge, des cas d’utilisation d’éléments de la médiation en Justice ayant été constatés.

· Mme Catherine BECCHETTI-BIZOT, Médiatrice de l’Education Nationale et de l’Enseignement supérieur, évoque la montée en charge des réclamations dans son champ d’action (plus de 13 000 dossiers en 2017) et les 55 collaborateurs ou médiateurs académiques sur lesquels elle s’appuie.

Elle s’est interrogée sur les conséquences de la loi Justice du XXIème siècle sur la médiationadministrative. De son point de vue, même si une forme d’inquiétude s’est cristallisée autour de la future procédure de la MPO, le nouveau dispositif est une véritable opportunité pour faire évoluer les administrations dans leur pratique, et peut-être le vecteur d’un changement culturel profond au sein même du service public d’éducation (obligation des services gestionnaires à rouvrir les dossiers, et à ne pas s’en tenir à une approche administrative et strictement juridique des situations et décisions individuelles). Elle note que les orientations actuelles prises par la DGRH s’inscrivent dans ce mouvement, avec le projet de développement d’une gestion de proximité la plus individualisée possible.

Si dans un premier temps, après l’adoption de l’ordonnance de 2011, il n’y a pas eu de réel changement constaté, la médiation étant déjà inscrite dans le Code de l’Education nationale, depuis la loi du 18 novembre 2016, la médiatrice a vu arriver plusieurs cas adressés par des juges qui relèvent du nouveau dispositif instauré par la Loi J21 et qui, sans annuler le cadrejuridique existant de la médiation administrative institutionnelle, vient s’y surajouter en créant parfois une situation complexe. L’état du droit applicable n’est pas d’une totale lisibilité, en particulier pour les usagers et dans une moindre mesure pour les personnels. Uneffort de clarification et d’information s’impose pour les médiations institutionnelles.

La saisine par un juge peut conduire à adopter un processus plus formalisé, avec pourcorollaire un risque d’alourdissement, même si la loi J21 laisse une grande souplesse quant à la nature du processus (présentiel, conférence téléphonique, utilisation de téléconférence ou de Skype …).

En toute hypothèse, dans le cas d’une saisine par le juge, il conviendra d’être très rigoureux sur les différentes étapes à respecter, en termes de confidentialité notamment. Par exemple, il semble nécessaire de clarifier les modalités de l’entrée en médiation et de la sortie decelle-ci.

La question a pu se poser d’une « potentielle concurrence » entre les médiateurs institutionnels et les membres des barreaux. La médiatrice espère que la volonté généraleaffichée de simplification et de souplesse administrative viendra compenser la tendance à l’accroissement des procédures et au formalisme qui pourrait résulter du nouveau cadre légal.

· Jean-Pierre HOSS suggère que l’on puisse, au moins dans certains textes réglementaires tels les règlements budgétaires et financiers, ou les règlements des bourses, prévoir « une clause soupape » permettant à l’administration auteure de la décision litigieuse de déroger, dans des circonstances exceptionnelles et dûment établies, et avec l’accord du Médiateur, à l’une des conditions (de délai notamment) prévue pour l’obtention d’un droit ou d’une libéralité (bourse, subvention…), ceci afin d’élargir le champ de la médiation.

· David MOREAU fait part de son souhait de poursuivre le dialogue avec le Club des Médiateurs, au travers notamment de rencontres périodiques.

 

Exemple de Médiation : Le Médiateur de la MSA

Exemple de litige résolu

Allocation de logement (AL) – Report du crédit contracté pour l’achat d’un 1er logement, sur l’achat d’un 2ème logement, le premier ayant été vendu

      M et Mme I. contractent en 2007 un prêt pour l’achat d’un logement. Ils bénéficient dès lors de l’allocation de logement.

      Quelques années plus tard ils décident de vendre ce logement pour en racheter un 2ème plus grand, la famille s’étant agrandie.

      La banque, par « facilité de gestion », au lieu d’annuler le 1er prêt et de faire contracter à M. et Mme I. un second prêt (les taux de prêt ayant par ailleurs baissé de manière significative) fait simplement une opération financière de « mutation de crédit » du 1er sur le second achat, sans informer ses clients des conséquences induites alors qu’ils continuent à rembourser (au même taux) le prêt contracté.      

     Or une prestation de logement est servie spécifiquement au titre d’un logement précisément déclaré, réellement occupé et pour lequel un prêt est remboursé. En l’occurrence le prêt a été contracté pour le 1er logement que les assurés n’occupent plus, et non pour le second.

     Les services de la MSA et la C.R.A. refusent le droit à l’allocation de logement au titre du deuxième logement.

 Le Médiateur argue du fait que :

  • Les aides au logement ont pour but d’aider les assurés sociaux ayant des ressources modestes à se loger dans la mesure où ils paient un loyer ou remboursent un prêt. Or M. et Mme I. supportent bien des charges financières pour se loger et les ressources de cette famille de 3 enfants sont modestes ;
  • Il y a eu continuité dans le versement des mensualités de prêt (qui expire en 2030) ;
  • La mutation du prêt sur le second logement relève du seul conseiller financier de la banque qui a agi « par facilité de gestion » ;
  • M. et Mme I. sont de bonne foi et leur situation, financière et sociale, justifie l’ouverture du droit.

La MSA et la Tutelle ont accepté la recommandation du Médiateur d’ouvrir un droit à l’AL au titre du second logement.