La mission d’un médiateur de la consommation demande beaucoup d’humilité. L’année 2020, avec une pandémie qui a durement frappé le tourisme et le voyage, l’illustre particulièrement. Dans ce secteur le médiateur, qui s’imaginait aguerri par plusieurs années d’exercice, se pensant connaisseur averti du Code du Tourisme, lecteur attentif de la jurisprudence de la Cour de Justice européenne sur le transport aérien, et instruit des dernières évolutions du Code de la Consommation, s’est aperçu qu’il ne savait plus grand chose.
Il a été en effet brusquement placé en mars 2020 devant des situations inédites, et des litiges de types nouveaux, auxquels ne pouvaient répondre en totalité, ni le droit existant, ni les solutions habituelles. Le juge n’était pas encore saisi, nous ne disposions pas de jurisprudence pour nous éclairer. Prenons l’exemple de la situation d’un voyageur français qui a réservé un voyage pour l’été 2020 et qui s’effraye légitimement de sa compatibilité avec une épidémie devenue mondiale. Il apprend les nombreuses restrictions décidées par les autorités publiques en France, et dans la plupart des pays, il est lui-même confiné durement de la mi-mars à la mi-mai, il entend les voix gouvernementales lui déconseiller les voyages. Aussi, voulant se protéger, il annule au printemps son séjour. Il pense, en toute bonne foi, qu’une force majeure empêche son voyage : la pandémie lui semble présenter tous les attributs de cette (subtile) notion : événement extérieur, imprévisible et irrésistible. Surprise : son agence n’accepte son annulation qu’à conditions de payer les frais d’annulation (qui peuvent aller jusqu’à 100% du coût du forfait) prévus dans un contrat qui reste toujours valable. En effet si le voyageur est confiné chez lui, interdit de se rendre à l’aéroport ou en quarantaine obligée, l’avion, lui, peut partir et le séjour sur place est possible avec des frontières, des hôtels et des musées ouverts, ce qui a été très fréquent cet été dans les lieux touristiques. Il n’y a donc pas force majeure, comme l’a précisé la Cour de Cassation le 25 octobre dernier, car le prestataire pouvait honorer son contrat, et son client, dont la seule obligation est de payer le voyage, l’a respecté lui aussi. Du coup, il faut appliquer le contrat avec toute sa sévérité.
Le médiateur en est alors réduit à faire appel au bon sens : le voyageur, coincé chez lui, ne pouvant partir, ne peut pas ne pas être dédommagé. C’est là qu’intervient l’équité, l’arme dont dispose le médiateur quand le droit ne peut plus réparer une injustice. On peut dans un tel cas, par exemple, demander au voyagiste de proposer un avoir pour permettre le report du voyage. Nous avons beaucoup plus fait jouer l’équité en 2020 dans ce type de situation, en faveur généralement du consommateur. Mais aussi en faveur d’entreprises en grandes difficultés. Le gouvernement a donné l’exemple en autorisant par ordonnance les voyagistes, à titre dérogatoire, de mars à septembre 2020, à rembourser leurs clients en avoir, et non en numéraire, pour les séjours annulés quand ils sont impossibles à exécuter du fait du Covid. L’équité s’est révélée pendant cette crise (qui dure encore), un outil efficace pour offrir des solutions à l’amiable. Les deux tiers de nos litiges ont été dus à la pandémie. Les demandes de médiation qui nous ont été adressées ont plus que doublé (111%, avec 18.332 saisines). En dépit de toutes les difficultés rencontrées par une équipe en télétravail, les solutions que nous avons proposées ont été acceptées à plus de 96%. La médiation, en s’attachant à la particularité de chaque litige, en jouant de l’équité comme du droit, a prouvé être un processus pragmatique et efficace, qui montre dans les temps de crise, toute son utilité sociale.
Jean-Pierre TEYSSIER
Médiateur du Tourisme et du Voyage